lundi 5 novembre 2012

Lettre de Courbet à ses élèves. 1861


Castagnary, un ami de Courbet, rapporte l’anecdote suivante, après que le peintre a ouvert un atelier rue Notre-Dame-des-Champs à Paris, fin 1861 : « En ouvrant la porte, mes compagnons et amis virent un singulier spectacle. Debout sur du foin répandu, l’œil dilaté, allongeant à terre son mufle noir, et balançant sa queue impatiente, un bœuf roux, marqué de blanc, était lié par les cornes à un anneau de fer fortement scellé dans le mur. C’était le modèle. »
Ce bœuf dans l’atelier méritait une explication…
C’est dans Le Courrier du Dimanche que Courbet fait paraître une lettre, datée du 25 décembre 1861, adressée à ses « chers Confrères » dans laquelle il écrit : « Vous avez bien voulu ouvrir un atelier de peinture où vous puissiez librement continuer votre éducation d'artistes, et vous avez bien voulu m'offrir de le placer sous ma direction. Avant toute réponse, il faut que je m'explique avec vous sur le mot direction. Je ne puis m'exposer à ce qu'il soit question entre nous de professeur et d'élèves. Je dois vous expliquer ce que j’ai eu récemment l’occasion de dire au congrès d’Anvers : je n’ai pas, je ne puis avoir d’élèves. Moi, qui crois que tout artiste doit être son propre maître, je ne puis songer à me constituer professeur. Je ne puis pas enseigner mon art, ni l’art d’une école quelconque, puisque je nie l’enseignement de l’art, ou que je prétends, en d’autres termes, que l’art est tout individuel, et n’est pour chaque artiste, que le talent résultant de sa propre inspiration et de ses propres études sur la tradition. J’ajoute que l’art ou le talent, selon moi, ne saurait être, pour un artiste, que le moyen d’appliquer ses facultés personnelles aux idées ou aux choses de l’époque dans laquelle il vit. Il ne peut pas y avoir d’écoles, il n’y a que des peintres. Les écoles ne cherchent qu’à rechercher les procédés analytiques de l’art. Je tiens les artistes d'un siècle pour radicalement incompétents à reproduire les choses d'un siècle précédent ou futur, autrement dit, à peindre le passé ou l'avenir. 
Je ne puis donc pas avoir la prétention d’ouvrir une école, de former des élèves, d’enseigner telle ou telle tradition partielle de l’art. Je ne puis qu’expliquer à des artistes, qui seraient mes collaborateurs et non mes élèves, la méthode par laquelle, selon moi, on devient peintre, par laquelle j’ai tâché moi-même de le devenir dès mon début, en laissant à chacun l’entière direction de son individualité, la pleine liberté de son expression propre dans cette méthode. Le réalisme est, par essence, l’art démocratique. Ainsi, par le réalisme qui attend tout de l’individu et de son effort, nous arrivons à reconnaître que le peuple doit être instruit puis qu’il doit tout tirer de lui-même ; tandis qu’avec l’idéal, c’est-à-dire avec la révélation, et, comme conséquence, avec l’autorité et l’aristocratie, le peuple recevait tout d’en haut, tenait tout d’un autre que lui-même et était fatalement voué à l’ignorance et à la résignation. »

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