samedi 2 mars 2013

Au Louvre : coup de cœur pour un coup de gueule




On avait apporté beaucoup de bouteilles d'alcool avec nous et on s'était dit au Musée c'est peut être pas permis.
Alors on les a bues avant.
C'est un moment essentiel dans le banquet de Platon.
C'est le moment où l'on mélange le vin et l'eau pour faire savoir combien on va s'enivrer pour être encore capable de discuter.
Pas du tout , on ne peut pas pour parler de philosophie.
Trop ça va être tout de suite l'orgie et on ne va pas se souvenir de ce que l'on a dit. 
Là, on n'en n'a pas trouvé l'eau donc on arrive au Louvre en état de créativité. 
Vous voyez le tableau. 
Le Louvre Grande Galerie on va vous faire les crucifixions, on va s'y intéresser.
Il faut le prélude.
On est devant la crucifixion de Mantegna
On n'en parle pas tout de suite, on se pose juste des questions.

"Bonjour, nous représentons un groupe de prières, est-ce que vous voulez signer notre pétition?
Oui, on est à genoux et on ne bougera pas d'ici.
On prie devant chaque crucifixion du Musée du Louvre.
Oui, ça nous fait de longues journées."

Depuis deux mois il y a le département des arts islamiques au Louvre.
Alors, nous ça nous a donné des idées.
Avant on n'aurait pas osé, parce que avant , les arts ils étaient classés, par périodes, par styles, par régions. 
Mais s'il y a une faiblesse dans l'institution muséale française, si on peut ENFIN TRAHIR l'idéal universel du Louvre Napoléonien, VOILA.
On veut que toutes les représentations de notre seigneur Jésus soient rassemblées dans un nouveau département que l'on appellera département des arts de la crétinité.

Allez, signez tous."

Je fais le clown, mais ce que j'essaie de raconter c'est qu'une oeuvre, elle change de sens en fonction du lieu où on la met. 
Alors moi je veux bien les dessiner les crucifixions, mais je me dis qu'elles cessent d'être une oeuvre sacrée à l'instant où on les mets au Louvre,
elles deviennent et c'est une grande promotion sémantique, elles deviennent une marche du chemin universel de l'art.

Moi je comprends que c'est jouissif de voler les gens du golfe et d'accaparer l'argent du pétrole pour ouvrir une aile supplémentaire au Louvre.
Mais faisons attention à la signification politique de certaines nomenclatures.

On a déjà un Institut du Monde Arabe, on a déjà un Musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme, on a également un centre Raélien quelque part...

Mais je ne vois pas la pertinence de classer les oeuvres du Louvre par chapelle religieuse.

Alors on me dit ça : "il y a déjà un département des oeuvres islamiques au Louvre", ce n'est pas vrai.
C'est un département des Arts de l'Islam. ça n'a rien à voir, or, de mon point de vue l'Islam n'est pas un pays et l'Islam ce n'est pas un peuple, c'est une religion.
Donc on a ouvert un département d'art en classant les oeuvres par religion.
Pour moi c'est un précédent, pour moi il est funeste.

Allez, on s'en fout, on ne s'énerve pas, on dessine. On a le droit, c'est notre travail, c'est là qu'on se distingue du bourreau.
Le bourreau sait la réussir cette torture, il sait que tu vas mourir par ton poids, il sait qu'il faut te planter le clou dans le poignet ,
parce que sinon dans la main….. ta main va se déchirer et tu vas tomber en avant.
Alors est-ce que les peintres sont des ignorants en anatomie, je ne crois pas. Moi je crois que les peintres ils le font exprès de mettre le clou au coeur de la main.



Ils nous disent que c'est plus qu'un corps qui se tient devant nous... et moi j'aime mieux qu'on crucifie sur une toile que dans le vrai monde. 

On va en voir plein.
Vous allez en avoir marre des crucifixions.
Vous allez dire que c'est avec nos impôts que l'on nous bassine avec de l'art religieux.
Moi j'adore ça.
Personne n'est aussi bon en scénario que la bible.
La bible s'est tendue, on est sur l'action, chaque anecdote a une portée dramaturgique terrible. C'est le livre adaptable au cinéma.

Donc la crucifixion c'est quoi ?

Mathieu, scène 27
Je cite :
"Arrivés au lieu Golgota (ce qui signifie le lieu du crâne) il lui donnèrent à boire du vin mélé de fiel et quand il l'eut goûté, il ne voulut pas boire.
Après l'avoir crucifié, ils se partagèrent ses vêtements en tirant au sort afin que s'accomplisse ce qui avait été annoncé par le prophète : ils se sont partagés mes vêtements, ils ont tiré au sort ma tunique.
Puis ils s'assirent et le gardèrent.

Pour indiquer le sujet de sa condamnation on écrivit au dessus de sa tête : "Celui-ci est Jésus, le roi des juifs."



"Allo, c'est la LICRA, on voudrait porter plainte."

C'est encore au sujet de Dieudonné ?

Non c'est pour les crucifixions "Celui-ci est Jésus, le Roi des Juifs" :
Je regrette c'est sigmatisant

Oui, ben les romains avaient marqué ça pour l'humilier, c'est comme s'ils le traitaient de sale juif en quelque sorte !

"Mais sans doute Monsieur, mais pour Ponce Pilate on ne peut plus le poursuivre, il est mort depuis longtemps."

N'empêche Madame, vous ne m'enlèverez pas de l'idée que s'il y avait eu la Licra à l'époque……

Bon on s'en fout on dessine, on va se planter devant la crucifixion de Mantegna et on essaie de ne pas se dire, c'est bon, j'arrête le dessin ou on la dessine  un peu…..

Texte de JOANN SFAR retranscrit depuis son émission sur France Inter :  "Vous voyez le tableau" 
du lundi au Jeudi à 18h53

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire